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Boisdin et Gourguenez : sous le feu croisé des rhabillages linguistiques

Dernière mise à jour : 23 juin 2021



Boisdin en La Grigonnais (photo de l'auteur)



De nouvelles formes anciennes publiées en page Addenda le 27 mai dernier viennent renforcer l’hypothèse que Boisdin, toponyme de la commune de La Grigonnais, provienne du breton bodenn « buisson » : Boeden 1677, Boden 1679 et Bodan 1693. La prononciation traditionnelle en est [bwedɛ̃], soit /bwédin/ (Tremblay, 1996, p. 195).


Le nom de hameau Boisdin ne paie pas de mine. Cependant, il est en réalité non seulement emblématique des transformations subies par les noms de lieux bretons du Pays nantais et de Haute-Bretagne en général, mais aussi de l’impact des graphies contemporaines sur les prononciations.


Pour passer rapidement sur le fait le plus évident, la finale –enn a été nasalisée en –in dans cette zone où le breton est éteint depuis un bon millénaire. Il faut dire que la phonétique romane est friande de sons nasaux : prononcez Le Pouliguen, Elven, Lesneven…


Ensuite le phonème [o] a subi une diphtongaison en /wé/. Cette tendance du gallo local à diphtonguer /o/ et /ou/ s’observe notamment dans la toponymie bretonne du Pays de Guérande ainsi qu’en breton vannetais (Luçon, 2017, p. 405).


L’étape finale consiste en un rhabillage français, processus que les lecteurs assidus de Noms de lieux bretons du Pays nantais connaissent sur le bout des doigts. En d’autres termes, la graphie Boisdin a été choisie pour donner du sens à ce qui n’en avait aucun en français, et pour cause puisqu’il s’agit d’un nom breton. Se reconnaît d’emblée le mot " bois ", évidemment convié ici parce que bois se prononçait /bwé/ dans nos campagnes il n’y a pas si longtemps. La confusion est sans nul doute ancienne et doit expliquer les formes redoublées Boudeden et Bouededen notées en 1679 et 1693 : les paysans du lieu, comprenant eux aussi " bois ", en faisaient semble-t-il à l’occasion un non moins curieux " bois de den ". Tout bien considéré, Boisdin est un moindre mal : la francisation aurait pu être plus lourde.


Le premier clerc de notaire, clerc de mairie ou agent du cadastre qui écrivit Boisdin crut certainement bien faire et corriger une vilaine forme patoisante… Il peut s’estimer comblé : tout le monde dit aujourd’hui /bwadin/, la prononciation des noms de lieux étant depuis longtemps tirée des formes écrites et non plus d’une transmission orale comme jadis. Ceux qui connaissent encore la véritable prononciation se garderont bien de l’employer de peur d’être pris pour des arriérés ; ils croiront même « déformer » le nom puisque les panneaux ont forcément raison (cf. les témoins modifiant leur prononciation en découvrant une forme écrite ; Luçon, ibid., p. 72). Et il y a fort à craindre que l’on n’entende bientôt /bwasdin/, sachant que Le Boistuaud à Malville (44), où bois est suivi du nom de famille Tuaud, est aujourd’hui couramment prononcé /bwastuo/ (!).


Mal prononcer Boisdin n’est certes pas bien grave, mais il suffirait d’une infime modification de la graphie pour y remédier instantanément et donc recoller avec une évolution phonétique pluriséculaire. Au vu des éléments nouveaux exposés ici et particulièrement des formes Boeden de 1677 et Boueden de 1679, il paraîtrait justifié et sensé d’écrire Boédin ou Bouédin.


Ceci étant dit, il serait naïf de croire que les toponymes issus de langues minoritaires sont seuls à pâtir de tel abus. La Grigonnais, commune où se situe justement Boisdin, est la preuve que la manie du rhabillage frappe aveuglément, sans distinction d’origine linguistique.


Figure en effet, sur les panneaux d’entrée de la commune, une forme « bretonne » Gourguenez.


L’invention de cette forme date de 1886 et revient à l’archiviste de la Loire-Inférieure Léon Maitre, dans le tome 1 de son ouvrage Les villes disparues de la Loire-Inférieure : « Il n’est pas jusqu’au nom de la Grigonnais, village voisin du Souchay, qui n’éveille aussi l’idée de quelque atelier fortifié. Il dérive d’un nom breton ou celtique : Gourguenez ou Gourgleuz, variante qui signifie talus et fossés de terre ». (Maitre, 1886 p. 273). À cette phrase est associée l’étonnante note de bas de page que voici : « 1. Un grand palais de terre chaude et froide sous landes et crières s’entre joignant (sic) et séparés (sic) par des gourgleuz »... Pour information le mot dialectal crière désigne soit un terrain humide non cultivé, soit un espace laissé vide sur le pourtour d'un champ labouré.


Autant ne pas tourner autour du pot : après vérification de la source dont elle provient, il apparaît que la forme Gourguenez est absolument fantaisiste. On ne peut que déplorer qu’elle ait été prise pour argent comptant.


L’étymologie est en effet assénée comme une certitude et sans la moindre justification linguistique, le mot gourguenez étant imaginaire ! Le rapprochement avec gougleuz, gourgleuz " talus bas ou en mauvais état " est gratuit : à cette époque où l'on avait la celtomanie facile, le natif de Troyes Léon Maitre prenait de grandes libertés avec le breton comme avec avec sa phonétique. De plus g dur se rend par la seule consonne g en breton, et non par " gu " qui est tiré de l’orthographe française (Gourgenez).


Se montrant en 1679 comme surnom porté par Jean Le Ray Grigonnais de Vay, La Grigonnais est assurément une formation romane en -ais contenant le  nom de famille Grigon de sens obscur ; elle signifie tout bêtement « hameau des Grigon », patronyme absent des sources locales mais bien attesté en Ille-et-Vilaine et mentionné à Escoublac en 1444.


Gourguenez ne repose pas non plus sur une prononciation traditionnelle : l’association Chubri en a relevé trois qui sont La Grigonâ, La Grigon·nâ et La Grigonaï , auxquelles s’ajoute La Gergonae donnée sur le site de la mairie (cf. bibliographie). S'y reconnaît le traitement habituel en gallo de la terminaison -ais, -aie. Ceci rend douteux l’affirmation de Léon Maitre selon laquelle « Nos paysans ne font aucune différence entre Grigonnais et Gourguenais ; ils prononcent même mieux le second que le premier, qui est une forme savante. »


Sans surprise, le baroque Gourguenez est inconnu de la Liste officielle des formes normalisées des communes de Bretagne publiée par l’Office Public de la Langue Bretonne (cf. bibliographie). La forme bretonne de La Grigonnais y est Kerrigon qui, bien que n’ayant jamais été employé de façon traditionnelle, est tout à fait cohérente d’un point de vue linguistique. D’une part, le préfixe breton kêr sert, comme le suffixe roman –ais, à former des toponymes signifiant « hameau, domaine, lieu habité et cultivé », et d’autre part Kerignon en Guérande, formé à partir du patronyme Grignon cette fois, montre un aboutissement très similaire (Luçon, 2017, p. 111). La consonne initiale g subit en effet une mutation adoucissante après kêr, soit *Ker C’hrigon > Kerrigon.


En conclusion, les formes Boisdin et Gourguenez, quoi que nées de façon différente, résultent toutes deux de l’attraction injustifiée d’une autre langue et n’ont pas plus de sens l’une que l’autre.


Présente dans notre vie quotidienne, la toponymie constitue un patrimoine inestimable qu’il importe de préserver avec soin. Pour cette raison, le choix des formes écrites des noms de lieux doit se faire tant que possible en respect de leur origine linguistique, de leur étymologie et de leur prononciation, sur la base d’attestations anciennes et selon une réflexion linguistique cohérente. Cela n'est pas toujours simple dans une région où plusieurs langues ont été parlées.


Hélas, étymologies populaires, rapprochements phonétiques hasardeux tournant au calembour, envolées romantiques du 19e siècle et autres coquilles d’agents du cadastre conditionnent une partie non négligeable des formes écrites des noms de lieux qui nous entourent.


10 juin 2020.

BIBLIOGRAPHIE :

- ARCHIVES DEPARTEMENTALES DE LA LOIRE-ATLANTIQUE : série B n°1876 et B n°1910 (pour les formes anciennes).

- Association CHUBRI. ChubEndret. Motier d non d’endret. En ligne, à consulter ici.

- Bertrand LUÇON. Noms de lieux bretons du Pays nantais. Yoran Embanner, Fouesnant 2017.

- MAIRIE DE LA GRIGONNAIS, site internet. Page HISTORIQUE à consulter ici.

- OFFICE PUBLIC DE LA LANGUE BRETONNE. Liste officielle des formes normalisées des communes de Bretagne (avec code postal et code INSEE). 24/04/2020.

- Léon MAITRE. Les villes disparues de la Loire-Inférieure, 1ère livraison. Imprimerie Vincent Forest et Emile Grimaud, Nantes 1886.

- Hervé TREMBLAY. Noms de lieux et itinéraires anciens en Loire-Atlantique. Chez l’auteur, Bouvron 1996.

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