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Le nom breton d'Escoublac

Dernière mise à jour : 6 mai 2023


Le bourg d'Escoublac (photo Jean-Claude Galvao)



Un patronyme figurant dans deux documents anciens guérandais mérite une attention particulière : il s’agit de Scollac ou Scoulac, attesté en la personne de Guillo Scollac du terrouer de Guerrande en 1386 (ADLA E 206-4), puis en celle d’Agnes Scoulac du Croisic en 1514 (Registre des baptêmes de la paroisse Notre Dame de Pitié).


Guillo Scollac, année 1386 (ADLA E 206-4)


Fait remarquable et inédit, il représente à l’évidence le nom breton de la paroisse d’Escoublac (Scublaco 1050, Escoplac 1073, Escoblac 1295, Escoublac 14e et 15e siècle), tel qu’exprimé par les locuteurs du breton du pays de Guérande. Son pendant français Lescoublac est d’ailleurs attesté à plusieurs reprises, notamment en la personne de Guillo Lescoublac du Croisic en 1452 (ADLA B 1489) ; le prénom identique pourrait signaler qu'il s'agit d'un descendant direct de Guillo Scollac.


Cette forme Skoulag, soit dit en passant incompatible avec Skoubleg qui paraît être une adaptation d'Eskoubleg inventé par Théophile Jeusset (1948, p. 57), fait état de l’évolution régulière du celtique *scubilos vers le vieux breton scubl et le moderne skoul « rapace, buse, milan ». Elle confirme donc l’hypothèse de Xavier Delamarre selon laquelle Escoublac remonterait à une formation gauloise *Scubiliācon « domaine de monsieur Scubilos » soit « Le Rapace » - surnom certainement valorisant à l’époque -, ou encore « lieu à rapaces » (Delamarre, 2012 p. 232). Escoublac se prononce aujourd’hui /écoubia/ en gallo ; la différence avec /skoulak/ ne vous aura pas échappée.


L’évolution *Scubiliācon > Skoulag suppose l’absence de rupture au niveau de la phonétique celtique comme de la compréhension du toponyme. La forme inhabituelle du suffixe en dépit de l’évolution bretonne (on attendrait –eg) a un écho finistérien : il s’agit de Ploe Ermeliac 11e siècle > Irvillac, en breton Irvilhag.


En somme, Skoulag ne paraît pas avoir été formé par les bretonnants guérandais à partir d’une forme transmise par des locuteurs de la langue romane. Tout ceci n’est pas sans poser quelques questions sur les liens entre breton et celtique continental.


L’expression de la forme bretonne d’un toponyme en –ac dans l’anthroponymie guérandaise a un précédent : il s’agit du nom de famille Sellac attesté dès 1422 à Escoublac (ADLA E 1227), lequel exprime la forme bretonne de Saillé, village important de la commune de Guérande. Ce nom en évolution romane pure (-ac > -é) a été considéré par certains spécialistes de la linguistique bretonne, dont Joseph Loth, comme la preuve d’une romanisation drastique et ancienne du pays de Guérande… Pour affirmer cela, il fallait ignorer que les bretonnants de Batz-sur-Mer appelaient encore ce village Selag dans leur breton à la fin du 19e siècle (!). Se note, à nouveau, le maintien du suffixe sous la forme –ac. S- initial s’explique par un intermédiaire roman ancien *Saliago ou, sait-on jamais, par le maintien de s- initial gaulois.


Skoulag, forme qui doit être versée à l’épais dossier des noms en –ac de Bretagne, vient renforcer l’idée que les graphies de toponymes employées dans les actes administratifs et notariés, aussi anciennes et récurrentes soient-elles, sont de piètres témoins des usages linguistiques populaires. Les formes Escoblac, Escoublac et Saillé sont exclusives dans les documents médiévaux. Une question mérite toutefois d’être soulevée : la graphie Scublaco de 1050, quoique affublée d'une désinence latine, ne représenterait-elle pas la forme bretonne *Scublac ? Elle est non seulement conforme au vieux breton scubl, mais aussi distincte de la forme Escoplac notée vingt-trois ans plus tard ; cette dernière comprend un e prosthétique redevable de la phonétique romane.


A ce propos, l'étymologie fantaisiste Escoplac = "lac de l’évêque" , étymologie formulée en 1073 par un scribe angevin ayant certes quelques notions de breton (Tanguy, 1990, p. 21 ; Souillet, 1987, p. 133), ne peut reposer que sur une forme écrite *Escoblac exprimant une prononciation employée par des élites de langue romane. En effet, on voit mal comment des bretonnants auraient fait ultérieurement /skoulak/ d’une formation comprenant e prosthétique et /b/ perçu comme étant la consonne finale du mot eskob "évêque" : ils devaient alors prononcer /skouvlak/, et non Escoplac « en langue bretonne » comme l’affirme l’auteur du texte, soit /eskoblak/ si l'on tient compte des règles de la phonétique bretonne.


Mais les surprises ne s’arrêtent pas là : un patronyme Mauscollac se note en 1386 dans le document même ou apparaît Scollac. Formé à partir du moyen breton mau « garçon, jeune homme » très bien représenté dans l’anthroponymie guérandaise ancienne, il signifie littéralement « gars d’Escoublac » ; étant malheureusement donné sans prénom, il est impossible de déterminer s'il s'agit d'une variante du nom de Guillo Scollac, mais cela est probable. Ce patronyme qui vient prouver de façon indiscutable la bretonnité de l'élément Scollac appartient à une série inédite en mau + lieu d’origine qui sera présentée dans un ouvrage à paraître.


30 mai 2020


Ajout du 28 juillet 2022 : un cas en tous points similaire à Skoulag / Escoublac est à signaler dans l'ouest du Pays nantais. Il s'agit d'Izernac en Nivillac (56), noté Erenhac en 1317 et Isarnac en 1419 ; ce nom est formé à partir du gaulois isarno- "fer". Or la notation du 14e siècle en restitue selon toute vraisemblance la prononciation bretonne, à savoir une évolution celtique régulière du thème isarno- vers le vieux breton hoiarn / harn "fer" par chute de s, puis enfin hern, cf. Saint-Hernin (29) (Bernard Tanguy, Recherche autour des noms gallo-romains en -"ac" en Haute-Bretagne, 1973, p. 120). Notons que le breton a dû être parlé à Nivillac jusqu'au 16e siècle. Comme dans le cas de Skoulag, un intermédiaire roman apparaît peu probable ; là encore, le suffixe -ac s'est maintenu dans la prononciation bretonne *(h)arnag > *(h)ernag, laquelle a été purement et simplement éradiquée par la forme romane élitaire Isarnac > Izernac.



Bibliographie :


- Xavier DELAMARRE, Noms de lieux celtiques de l’Europe ancienne, Ed. Errances, Arles, 2012.

- Théophile JEUSSET, « Anvioù-lec'hioù Breizh-Uhel ». In : Al Liamm n°8, mae mezheven 1948, p. 56-63.

· Guy SOUILLET, « La Baule et la Balue ». In: Nouvelle revue d'onomastique, n°9-10, 1987. L'Ardenne, l'eau et la forêt. pp. 126-140.

· Bernard TANGUY, « La langue bretonne au pays de Guérande ». In : Armen (revue) n°25, 1990, p. 20-27.


J'adresse mes remerciements à Antoine Châtelier, docteur en breton et celtique, pour avoir assuré une relecture de cet article.

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